« Pourquoi je pleure quand je vais au marché »

 par Elsa Petit*, dimanche 6 novembre 2011

Jean-Michel Delahaye, maraîcher d'Ile-de-France

Dimanche, mardi, vendredi, marché Ornano, Paris 18ème. Cohue habituelle, bousculer sous peine de se faire bousculer, cris des vendeurs « Allez, allez, les bananes, les bananes, les bananes ! » Et puis au milieu du boulevard, l’oeil est brusquement attiré par un stand devant lequel s’étire une longue file. Des personnes incrédules remontent la queue, essaient de voir ce qui provoque cet attroupement : des légumes, de simples légumes.

Il y a 20 minutes d’attente devant le stand de Jean-Michel Delahaye, et pourtant il va mettre la clef sous la porte, cet hiver. Il a quand même planté toute sa gamme, pour finir en beauté : le dernier étalage d’un vrai maraîcher, produisant des produits locaux et de saison , avec la semaine dernière encore, des courges spaghettis, du basilic, des épinards,des pommes, des poires, et des fleurs qu’on dirait coupées dans la jardin de ma grand-mère.

« Il n’y a quasiment plus de maraîchers sur les marchés d’Ile de France »

Quand il ne sera plus là, il restera les revendeurs de légumes achetés à Rungis, ces mêmes légumes issus de l’agriculture intensive, que l’on trouvent partout. C’est pour ça que j’ai la gorge qui se noue quand je fais la queue, lorsque je vois qu’il y a plein de clients, et que je pense qu’il ferme quand même.

Devant l'étal de Jean-Michel

Alors pourquoi me direz-vous met-il la clef sous la porte ? Parce que ce n’est pas rentable : les clients prennent deux trois légumes, et achètent le reste ailleurs…c’est la crise. Ils prennent juste de quoi se remonter le moral, en somme… Il n’y a quasiment plus de maraîchers sur les marchés d’Ile de France.

Jean-Michel vient du Val d’Oise avec un vieux fourgon , qui n’est pas conforme aux nouvelles normes du Grenelle, et qui ne pourra plus passer le périph en 2012…et pas les moyens d’en acheter un nouveau….

Alors certes Jean-Michel n’est pas bio, il pense que c’est des conneries mais il ne traite « pas beaucoup »….Tandis que je fais la queue, je rêve à une initiative de tous ces gens qui sont autour de moi, qui pourraient s’engager à lui prendre une certaine quantité toutes les semaines.
Et ainsi, comme il vendrait tout, il y aurait moins de pertes, il pourrait moins investir, il n’aurait pas besoin d’employer des vendeurs parce que les gens feraient la distribution… Bref, comme une Amap, même si c’est pas bio…. Peut être qu’il y viendrait…. Et je commence à faire des flyers dans ma tête, il y a un banc juste devant l’étalage, « on » pourrait s’installer là pour tracter…

De tous les côtés, il y a des trucs à faire…. La nana à qui j’en parle dans la queue me prend pour une folle et me parle d’un autre maraîcher sur un autre marché à trois rues d’ici avant de me tourner résolument le dos.

Et je crois que Jean-Michel de toute façon a tiré un trait. Tant pis alors ?

*Elsa Petit habite le 18ème arrondissement, est membre de l’AMAP « Haricot bio magique » et avec son ami, a décidé d’entamer une reconversion professionnelle pour s’installer en maraîchage 

6 réflexions sur « « Pourquoi je pleure quand je vais au marché » »

  1. Pourquoi ne vend-il pas localement dans le val d’Oise, plutôt que de se déplacer avec son vieux fourgon à Paris ? Cela ferait déjà des économies d’essence et supprimerait la nécessité d’acheter un nouveau camion aux normes, non ?
    Dommage qu’il considère le bio comme des « conneries », d’une part car c’est un marché porteur et d’autre part il y a un manque très important de produits bio locaux … mais s’il préfère baisser les bras … !

    1. en réponse à votre commentaire sur l’article « Pourquoi je pleure quand je vais au marché », je pense que malheureusement le problème n’est pas qu’il se déplace à Paris mais surtout le fait qu’en tant que petit producteur (un des rares qui subsistent en Ile-de-France, royaume de l’agriculture intensive), il est de plus en plus étranglé par les coûts financiers de son exploitation. Son camion a certes un impact mais ce n’est pas que cela.
      Après 25 ans d’activité où il ne voit jamais la différence entre un jour de semaine et de week end et où les vacances ont disparu, il est sans doute épuisé et découragé.

      Par ailleurs, il ne rejette pas la bio et s’il lui arrive parfois de dire que celle-ci est une connerie, c’est plus par dépit qu’autre chose. Jean-Michel produit localement des fruits et des légumes de saison en respectant ses sols et en pratiquant la rotation des cultures.
      Alors certes, impossible de faire de lui un producteur bio au sens strict du terme, mais sa démarche correspond tout de même à ce que nous souhaiterions voir en Ile-de-France : le retour à une agriculture locale, de saison et non intensive.

      Je crois donc qu’il faut au contraire le soutenir et ne pas croire qu’il se « contente de baisser les bras ». Résister face à la machine agro-alimentaire actuelle quand on est un petit producteur, c’est le pot de terre contre le pot de fer et peut conduire à des découragements. A nous au contraire de l’aider en le soutenant !

      O.

  2. Je suis navrée de lire cet article, à l’heure où des groupes en Amap ne trouvent pas de maraîcher en Ile de France et sollicitent les producteurs des départements limitrophes.

    Je rappelle ici qu’AMAP signifie Association pour le Maintien d’une Agriculture PAYSANNE, pas biologique, et qu’un label ne saurait remplacer la confiance qui s’instaure entre un groupe de personnes et un producteur qu’elles connaissent personnellement.

    De plus, avec les nouvelles normes européennes, le label Agriculture Biologique est pratiquement vidé de son contenu, et je comprends que ce maraîcher qui connait bien son métier et travaille proprement considère que ce sont des « conneries ».

    J’aimerais qu’on lui transmette qu’une des plus grosses Amap de Paris, Réunion Père Lachaise, plus de 230 adhérents, a un partenariat très heureux et fidèle avec un maraîcher de Seine Maritime qui n’a aucune certification.

    Je l’encouragerai à se rapprocher, si sa décision d’arrêter n’est pas encore fermement prise, du réseau Amap Ile de France qui est censé l’aider à rencontrer des groupes d’amapiens les plus proches de son exploitation.

    Bien cordialement

    Anne-Lise, (Amap des Hauts de Belleville)

    1. Bonjour Anne-Lise,
      Merci pour votre message et votre réaction à cet article.
      Nous allons aller avec Elsa qui écrit ce post, d’ici quelques jours sur place rencontrer ce maraîcher chez lui, dans le Val-d’Oise. l’idée étant non seulement de mieux le connaître mais aussi effectivement, le soutenir. Nous lui soumettrons votre idée qui me semble susceptible de constituer un réel débouché supplémentaire.
      Nous avons eu depuis cette semaine d’autres infos, à la fois positives et négatives : Jean-Michel finalement renoncerai à cesser dans l’immédiat son activité mais seulement, et c’est la face négative, parce qu’il est confronté à d’importantes difficultés financières.
      Nous ferons sur ce blog un compte-rendu de notre visite afin de tenir au courant les lecteurs-trices de Quartiers en Transition.
      Amicalement, O.

  3. Les clients font la queue chaque jour pour ses produits de qualité. Je ne comprends pas qu’il n’arrive pas à s’en sortir financièrement.

  4. En tout cas, heureusement, il n’a toujours pas mis la clef sous la porte. Ses légumes sont très frais et ses fleurs magnifiques. Hélas, il ne cultive plus de cardons. J’ai grandi dans le Hurepoix, pays de maraîchage, et je ne conçois pas un marché sans maraîcher…

Laisser un commentaire